Eau de Brassage : 3 exemples pratiques d'ajustement de l'eau

Eau de Brassage : 3 exemples pratiques d'ajustement de l'eau

Eduardo Mota - 03/09/2024 | Lecture : 12 min

Dans cet article, j'illustre comment nous avons ajusté notre eau de brassage pour 3 recettes de bière que nous avons partagées sur notre chaîne Youtube avec des besoins très particuliers. Cet article est la deuxième partie au sujet de l'eau, vu d'un point de vue très pratique.

Je vais essayer de vous donner quelques commentaires ou observations sur chacun des trois profils d'eau, l'ajustement de chaque ayant été très différents. Bien sûr, ils ont tous été ajustés avec le site exceptionnel moneaudebrassage.fr, donc si vous n'avez pas encore utilisé cet outil en ligne, nous vous invitons à y jeter un coup d'œil, vos bières ne seront plus les mêmes après y avoir fait un tour.

Avant de commencer les exemples, je vais partager avec vous mon profil d'eau depuis la dernière mise à jour de leur site (mai 2024), pour vous donner une idée du type d'eau avec lequel je travaille.

En gros, nous pouvons constater que mon eau a une dureté temporaire (carbonates de calcium) assez élevée, ce qui pourrait être considéré comme un défaut, en raison de la difficulté ou de la nécessité de la traiter avec des acides pour réduire l'alcalinité, mais également comme un avantage pour réaliser des styles orientés vers l'amertume et la présence du houblon en raison de leurs niveaux de sulfates. Alors passons aux exemples.

  • Saison à l'épautre (pour un style local)


L'un des avantages de vivre dans le Nord de la France est que l'eau est presque parfaite pour la fabrication des styles belges (Saison, bières trappistes, pale ales, etc. etc.). Le seul inconvénient est qu'il s'agit d'une eau à forte teneur en carbonate HCO3, il est donc nécessaire de réduire l'alcalinité avec de forts ajouts d'acides.

Pour ma recette de 21 litres de Saison, j'ai utilisé 4,75 kg de grains : 

  • 3.75 kg de Malt Pilsen
  • 1 kg de Malt d'épeautre

Comme vous pouvez le voir dans l'image ci-dessous, mon eau a un profil qui correspond parfaitement à une Saison. Le ratio Sulfate:Chlorure est de 2:1 ce qui favorise une finale sèche et par conséquent une accentuation de la perception de l'amertume, tout le contraire de ce que l'on recherche dans une NEIPA par exemple. 

Enfin, je voudrais montrer comment j'ai obtenu la quantité d'acide lactique que j'ai ajoutée dans mon brassin. Pour cette recette particulière, j'ai utilisé 29 litres d'eau au total. Si vous voulez savoir comment j'ai calculé ce volume, la première partie de cet article est consacrée à la quantité, rappelez-vous que nous faisons nos brassins avec le volume total d'eau depuis le début (sans rinçage).


Il est nécessaire de connaître le volume d'eau que nous allons traiter, mais avant de savoir combien d'acide nous devons ajouter, je souhaite citer John Palmer : « The chemistry of the water + The chemistry of the malt = The chemistry of the mash ». Exactement : le malt joue aussi un rôle dans l'acidification du moût ! Dans ce cas particulier, nous n'avons utilisé que des malts basiques, qui peuvent être considérés comme alcalins à notre pH cible, notre cible était de 5,3, et comme vous pouvez le voir à côté du type de malt se trouve une valeur de pH, cette valeur est appelée « congress mash pH », nous parlerons de cette valeur plus tard.

 

Pour un pH cible de 5,3, nous avons eu besoin de 18 ml d'acide lactique à 80 %. Après 15 minutes de macération, nous avons obtenu un pH de 5,4. Quelques remarques à ce sujet : la lecture du pH doit être effectuée entre 20 et 25°C, car même si le pH-mètre est doté d'un système de compensation automatique de la température (ATC), les résultats peuvent être légèrement faussés, surtout si la lecture est effectuée à la température de la maische.

 

Enfin, je voudrais parler de l'expérience que j'ai eue avec l'utilisation de l'acide lactique, à savoir qu'au moment où nous avons réalisé cette recette, nous n'avions pas encore d'acide phosphorique disponible, ce qui signifie que la plupart de nos recettes dépassaient le fameux plafond de 400 ppm. À noter que dans aucune de ces bières je n'ai eu l'impression de ressentir le goût de l'acide lactique.

  • New Zeland Pils (avec de l'eau osmosée)


    Après vous avoir donné l'exemple de ma Saison à l'épeautre, nous allons passer à l'autre extrême, qui est d'utiliser directement de l'eau filtrée par osmose inverse. Dans mon cas ce n'était pas la première fois que j'utilisais de l'eau filtrée, mais c'est certainement la bière que j'ai le plus appréciée où j'ai utilisé ce type d'eau. Je parlerai de l'utilisation du filtre plus tard, mais d'abord je voudrais partager avec vous comment entrer un profil d'eau personnalisé dans moneaudebrassage.

    Le bouton se trouve juste en dessous de la zone où vous sélectionnez votre département et votre commune, ce qui est utile au cas où vous utiliseriez le site dans des endroits hors de France, et où vous avez accès au profil de l'eau que vous allez utiliser (ce que nous verrons dans le prochain exemple lorsque nous entrerons le profil de l'eau de Volvic).

    Une fois que vous avez cliqué sur le bouton « Personnalisez votre profil », une fenêtre apparaît dans laquelle vous pouvez modifier les données préchargées, par exemple en diluant ces valeurs de moitié, en utilisant une moitié d'eau du robinet et une moitié d'eau osmosée, ou comme mentionné ci-dessus, en entrant les valeurs de l'eau en bouteille que vous avez à votre disposition et qui partage bien sûr son profil d'eau. Dans les deux cas, lorsque vous cliquez sur le bouton de réinitialisation, toutes les valeurs seront égales à 0, ce qui pourrait être considéré comme le profil de l'eau filtrée par osmose inverse. 

     

    Le style Pilsen néo-zélandais est encore un style local qui n'est pas inclus dans le guide BJCP, nous avons donc décidé d'utiliser directement le profil d'eau d'une Pils allemande. J'aimerais ajouter que la plupart des valeurs des gammes présentées sur moneaudebrassage.fr proviennent de la table des valeurs du livre « Water : A Comprehensive Guide for Brewers » de John Palmer, bien qu'il y ait quelques styles que les programmeurs Eric et David ont ajoutés suite à la demande du public, comme la Hazy IPA.

     

      

     

    Cette recette a été réalisée pour 25 litres de moût dans le fermenteur et 34 litres d'eau ont été utilisés dès le départ, au total 5,5 kg de malts ont été brassés :

    • 4.7 kg Malt Pilsen (pH = 5.7)
    • 0.5 kg Froment Malté (pH = 6.04)
    • 0.3 kg Malt Vienna (pH = 5.56)

    Le "congress mash pH" est le pH résultant de l'empâtage d'un type de malt dans de l'eau distillée et dans certaines conditions de laboratoire. Il s'agit d'un test que les malteries effectuent pour connaître les propriétés des différents lots de malt ; par conséquent, étant donné qu'il s'agit d'une valeur qui dépend de multiples facteurs naturels, le logiciel prend toujours en compte une valeur moyenne.
    Pour cette recette, comme pour la Saison précédente, seuls des malts de base ayant un pH supérieur à la valeur cible ont été utilisés, de sorte que même avec de l'eau déminéralisée, il serait nécessaire d'ajouter des acides.

     

     

    Une fois l'ajustement effectué, nous avons réussi à descendre à un pH de 5,32 (je sais que cela peut faire mal aux yeux de faire la première lecture à 32°C, mais pour ma défense, c'est la température la plus basse que j'ai pu atteindre dans la fenêtre de temps permettant un éventuel ajustement additionnel).

    Sur cet exemple, j'ai deux derniers commentaires. Le premier concerne le fait que pour moi en tant que brasseur amateur, je trouve assez didactique de voir la différence entre une eau assez chargée en minéraux et une autre qui en est dépourvue, simplement à partir de sa filtration. L'eau a une texture très différente, ce qui change complètement la façon dont on perçoit l'eau en bouche, depuis le filtrage jusqu'à la dégustation de la bière finale.


    Si l'on compare le brassin de la Saison (29 litres d'eau traitée) à celui de la New Zealand Pils (34 litres d'eau traitée) on voit la quantité d'acide lactique nécessaire pour traiter chaque eau : pour la première, 18 ml et pour la seconde seulement 8 ml, ce qui est logique compte tenu de la quantité de carbonates présents dans mon eau du robinet.

     

    Pour terminer, je voudrais aborder la question du filtre à eau. Nous avons acheté ce filtre en pensant qu'à un moment donné nous allions lancer une activité commerciale de bière artisanale, mais en l'utilisant, nous avons réalisé qu'il avait ses avantages et ses inconvénients. Du côté positif, les bières que nous avons fabriquées avec de l'eau filtrée se distinguaient nettement des autres. Il y a beaucoup de variables qui peuvent affecter le goût de la bière, donc je n'oserais pas attribuer 100% du succès de ces recettes à l'eau, mais vous pouvez remarquer un changement considérable dès le début du filtrage.


    Le côté négatif du filtre est tout d'abord la quantité de « pertes » qu'il génère, c'est-à-dire que pour filtrer 1 litre d'eau, le filtre rejette 3 litres d'eau, même si c'est de l'eau qui est réutilisée dans les tâches quotidiennes, elle est ultra chargée en minéraux et va potentiellement laisser des traces dans les lieux de réutilisation. Un autre aspect négatif est le temps. Filtrer l'eau est un processus long, qui ajoute du temps à votre session de brassage. Pour filtrer 34 litres il me faut presque 1 heure. Pour cela je n'ai pas besoin d'être sur place, mais si vous ne le savez pas avant, vous pouvez avoir une surprise dans votre emploi du temps le jour du brassage.


    Aujourd'hui, je n'utilise mon filtre que pour faire des Lager (une fois par an). Même mes NEIPA je préfère les ajuster à partir de mon profil d'eau local, et, avec le nouvel ajout de chlorure de potassium, il est plus facile d'ajouter des chlorures sans ajouter de sodium ou de calcium.

    NEIPA (avec de l'eau Volvic)

    Le dernier exemple de mon article est lorsque nous avons fait la première NEIPA de la chaîne. Pour ce brassin, j'ai utilisé de l'eau de Volvic et j'ai rentré le profil de l'eau directement sur moneaudebrassage.fr.

    Si vous vous demandez pourquoi j'ai décidé d'utiliser une eau peu minéralisée, c'est parce que je voulais ajuster les chlorures. Sachant que mon taux de calcium est naturellement à 150 ppm, le chlorure de calcium n'est pas une option, puisque de nombreux auteurs évoquent une perception minéralisée, autour de 200 ppm.

    Ci-dessous je partage une image de l'étiquette de la bouteille où l'on peut voir le fameux profil de l'eau Volvic. Comme vous pouvez le voir, c'est un profil très calme malgré le fait qu'il s'agisse d'une eau qui vient du sous-sol. Je suis allé enquêter un peu sur l'histoire de Volvic et apparemment l'origine de l'eau vient d'une région volcanique inactive.

    Tout comme pour ma New Zeland Pils, j'ai modifié mon profil directement dans « Personnalisez votre profil » et j'ai retranscrit telles quelles les valeurs inscrites sur l'étiquette.

     

    Actuellement, Moneaudebrassage.fr inclut déjà le profil Hazy IPA. Auparavant nous avions tout d'abord sélectionné l'American IPA, mais les besoins en sulfates d'une American IPA ont éclipsé les besoins en chlorures de la NEIPA, nous avons donc préféré sélectionner des styles tels que l'Imperial Stout comme guide pour les besoins en chlorures.

    Comme pour la New Zealand Pilsner, nous avons traité un total de 34 litres d'eau. Au final, les quantités de sels que nous avons ajoutées ont été conçues pour obtenir un rapport chlorure/sulfate de 3:1.

    Rappelez-vous que vous pouvez augmenter et diminuer la quantité de sels et voir graphiquement si vous êtes dans ou hors de la fourchette recommandée. Il en va de même pour l'acide : vous pouvez augmenter ou diminuer la quantité d'acide à l'aide de la barre horizontale et les quantités d'acide se mettront à jour d'elles-mêmes, ou bien entrer la quantité dans la case et voir comment la valeur de la barre est mise à jour.

    Pour le calcul de l'acide dans ce brassin particulier, nous avons utilisé :

     

    Parmi les trois exemples, il s'agit du brasin pour lequel nous nous sommes le plus rapprochés du pH cible (et aussi pour lequel nous avons presque respecté la température d'échantillonnage). 

    J'espère que ces exemples seront utiles à tous les brasseurs qui veulent se lancer pour ajuster leur eau de brassage. Pour nous ce n'était pas facile, mais avec moneaudebrassage c'est beaucoup plus simple ! Et nous ne pouvons pas nier qu'il y a eu un changement significatif dans la qualité de nos bières.

    Comme vous pouvez le voir cet article est plus pratique que théorique, mais j'essaierai de m'attarder dans le futur sur des concepts isolés concernant l'eau, des questions telles que l'alcalinité, la relation Chlorure : Sulfate et même les avantages que chaque sel apporte au brassin sont des sujets qui suscitent l'intérêt de la communauté. Dans tous les cas, si vous voulez approfondir les questions relatives à l'eau je vous recommande deux lectures importantes :

    • "Water : A Comprehensive Guide for Brewers" de John Palmer

    • "Handbook of Brewing" de Fergus G. Priest 

    1 commentaire

    • Florent Miko

      quand tu dis “dans la fenêtre de temps permettant un éventuel ajustement”
      C’est à dire ? Quelle est cette fenêtre ?

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